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Réflexions théologiques et environnementales sur l'actualité

blog d'un théologien par ailleurs biologiste

Vivre Dieu (3)

Du passé au présent, un seuil

 

Pour l’instant, je suis dans les intuitions, les sensations, les traces qui m’ont façonné. Par essais successifs d’erreurs et de réussites, un chemin se dégage alors pour moi. La parole des autres : «  Qu’est-ce que tu attends pour devenir pasteur ?Si tu n’étais pas mon ami, je te casserais la gueule » ; c’est cette parole là qui m’a donné le coup de pouce pour oser. Oser quoi à propos ? Oser parler de ce qui a été vécu, oser parler de cette réalité intime : la relation à deux, la relation à Dieu. Mais pour oser, il faut apprendre, apprendre et être reconnu. Il faut passer du sentir au connaître et, quelque peu aussi au savoir.

Depuis 20 ans, ma femme et moi étions prédicateurs laïcs de notre Eglise. Quand l’appel a été transmis, et qu’enfin, j’ai pris le temps d’y répondre, il m’a fallu me coltiner, comme j’ai pu, des disciplines barbares mais passionnantes : grec biblique, hébreu, exégèse, dogmatique, théologie pratique, philosophie… Tout un cortège de disciplines nouvelles et en même temps si connues. Elles venaient dire ce que je ressentais confusément. Elles venaient mettre des mots sur des intuitions, mettre de l’ordre dans des connaissances éparses. Mais aujourd’hui encore, je grappille, je reste désordonné autour de moi – en moi ?– et préfère à l’étude méthodique l’errance pleine de surprises et de rêveries. C’est dans ces moments de balades intellectuelles que se renouvellent en moi les idées.

Prêcher ? Un acte impossible et pourtant tellement essentiel. Il s’agit de transmettre même ce que l’on ne sait pas qu’on a reçu. Cela tient du combat avec l’ange au Yabboq[1]. J’en sors moulu, incertain, échaudé et puis la parole se déroule et  je sens ici ou là qu’elle a porté… Même si je reste tellement inquiet que je demande à chaque fois à ma femme ce qu’elle en a pensé. Qui prêche ? Qui parle ? Moi, je le sais bien ; mais ce n’est pas moi que mes auditeurs reçoivent. Ils reçoivent – en tout cas certains d’entre eux – une étrange alchimie langagière entre mes mots et leurs maux, entre mon opinion et leurs soucis, entre le texte biblique et notre commune actualité.

Cet acte essentiel de la proclamation publique, maintenant est aussi redoutable : qui suis-je pour oser dire Dieu ? Qui suis-je pour prendre la parole ici devant ? C’est là que la reconnaissance des pairs et de mon Eglise – la reconnaissance de mon père, elle, s'est-elle faite ? -  vient calmer les scrupules. Aussi imparfait que je me sente, il n’est pas possible qu’ils se soient tous trompés à ce point ! Je dois donc assumer cette tâche donnée. J’y pense aussi quand on vient me dire l’indicible, quand on vient déposer des fardeaux… Ils sont aussi lourds que les miens, mais, moi aussi, je les dépose ailleurs quand j’en ressens le besoin. Il y a là une solidarité essentielle qui permet de vivre.

Je ne sais si d’autres textes font le même effet. Mais la Bible est extraordinaire de diversité quand on l’approche. Elle est tantôt rocailleuse comme un chemin au soleil, parfois douce comme un sentier sablonneux, encombrée de ronces ou bordée de fleurs. Elle est parfois obscure comme une nuit d’angoisse et d’autres fois lumineuse comme le sourire d’une fille ou d’un gars dans le soleil du printemps.

Et je suis là qui m’approche, qui tente une caresse, un geste, un démarrage. Et puis rien ! Le texte se dérobe. Il va falloir l’apprivoiser lui laisser le temps de dévoiler ses points de rupture où ma sensibilité s’éveille. Ces points d’accroche où se construisent en moi quelques étapes à partager.

Alors, lentement une parole naît qui n’est pas totalement mienne. Je n’ai pas la prétention de recevoir le Souffle – l’Esprit - et pourtant qu’est-ce d’autre ? Une parole qui me prend et me fait écrire, comme en ce moment. Une parole qui me fait oser des métaphores, des hardiesses, des dévoilements, tout en restant respectueusement dans les clous des passages obligés pour théologien toujours débutant : le texte, rien que le texte et toujours le texte.

Peu de recours à des commentaires sinon quand le travail est trop rude et que la nuit ne s’éclaire de rien… alors la compréhension d’un autre peut déclencher l’ouverture à une interprétation possible. Et ça redémarre. Parfois le commentaire obscurcit, déstabilise, égare… tant pis, on recommencera plus tard.

Cet effort d’appropriation, curieusement, est celui qui construit une théologie personnelle. De mois en mois, - de personne à personne, j'oserais dire : de moi en moi - s’accumulent des résultats dont je contrôle la pertinence auprès de certains de mes auditeurs. C’est ici le retour. Comme parfois aussi après l’écoute de fardeaux quand on me dit : « la question que tu as posée, c’était la bonne question ». Ce travail personnel devient travail collectif dans ces séances toujours bouleversantes des études bibliques. Quand la parole des autres vient bousculer mes certitudes, obliger à reconsidérer le point de vue difficilement forgé.

Mais quelle difficulté à accepter cette parole quand elle vient de l’autre ! Quelle difficulté à l’assimiler, à la laisser devenir familière ! Je  soupçonne que, pour les autres, il en est de même avec mes paroles : elles aussi doivent être reçues, assimilées, familiarisées… Serait-ce l’un des critères de la rencontre de la Parole autre, celle qui met en chemin et fait se réaliser la rencontre ? Sans doute et plus je vais, plus je dois apprendre à me taire pour laisser sourdre cette parole-surprise, cette parole qui vient ébranler les constructions les plus définitives ?

 

[1] Allusion au combat de Jacob, fils d’Isaac avec « un homme » au gué du Yabboq dans Genèse chapitre 32 versets 23-33.

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